La marque Kodak, fondée en 1888 par George Eastman, est indissociable de l’histoire de la photographie. À l’origine d’innombrables révolutions techniques et culturelles, Kodak a pendant plus d’un siècle incarné l’innovation, la qualité et l’accessibilité photographique. De l’invention du Brownie à la démocratisation de la photographie couleur, puis au difficile virage du numérique, la saga Kodak est emblématique des transformations de l’image à l’ère moderne.

Mais en 2025, alors que la photographie argentique connaît un renouveau mondial, Kodak, pourtant pionnière du genre, semble vaciller une fois de plus. Plongée dans l’histoire fascinante et tourmentée de ce symbole de l’argentique.

1888-1939 : Kodak, pionnier de la photographie accessible

Lorsque George Eastman fonde Kodak, son ambition est claire : rendre la photographie simple et accessible au plus grand nombre. Il réussit ce pari dès 1888 avec le lancement du premier appareil photo Kodak, accompagné du slogan visionnaire :

« Vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste. »

Ce concept révolutionnaire – appareil photo préchargé, développement en usine et tirages livrés au client – pose les bases de la photographie amateur moderne.

En 1900, la sortie du Brownie, vendu seulement 1 $, marque une étape décisive : un appareil compact, bon marché, utilisant des pellicules en rouleau, qui permet aux familles et aux enfants de découvrir la photo. C’est aussi la naissance du mot "snapshot", ces clichés pris sur le vif qui vont envahir les albums familiaux du XXe siècle.

Kodak développe aussi très tôt une approche industrielle efficace : en adoptant un modèle économique basé sur les pellicules (razor and blades), la société fidélise des générations d’amateurs à travers ses films noir et blanc, films couleur, et diapositives.

1940-1970 : L'âge d'or de Kodak et la domination mondiale de la photo argentique

Des appareils emblématiques au service du grand public

• 1940 : le Six-20 Flash Brownie, avec flash intégré, démocratise les photos de nuit.
• 1946 : le Brownie Starflash séduit des millions de photographes amateurs.
• Dans les années 50 : le Kodak Retina, appareil 35 mm fabriqué en Allemagne, vise un public plus exigeant.
• Le Brownie 127 en bakélite devient un classique des foyers.

L’explosion des ventes grâce à l’Instamatic

En 1963, Kodak lance l’Instamatic 100, premier appareil à cartouche 126. Ce système simplifie considérablement le chargement du film, supprimant toute complexité technique. Résultat : un succès planétaire, des millions d’unités vendues, et une popularité intacte durant des décennies. L’Instamatic incarne le slogan non officiel de Kodak : « La photo pour tous ».

Kodachrome : la légende en couleurs

En 1935 déjà, Kodak avait bouleversé la photographie couleur avec le film inversible Kodachrome, aux teintes saturées et à la longévité exceptionnelle. Dans les années 60, ce film devient un incontournable des amateurs et des professionnels (photo de voyage, reportage, paysages).

L’image Kodak dans la culture populaire

La photographie devient un acte du quotidien, et l’expression « Kodak moment » entre dans le langage courant pour désigner un moment précieux à immortaliser. Kodak, plus qu’une marque, devient une icône culturelle.

1970-2000 : Diversification prudente, innovations avortées et virage numérique manqué

L’innovation numérique… non exploitée

En 1975, un ingénieur Kodak, Steve Sasson, crée le premier appareil photo numérique de l’histoire. Pourtant, la direction rejette cette invention, craignant de cannibaliser le lucratif marché des pellicules. Kodak développe néanmoins quelques produits numériques (notamment la série DCS dès 1991), mais reste focalisé sur les films.

Des erreurs stratégiques coûteuses

• 1986 : Kodak perd un procès contre Polaroid et doit abandonner la photo instantanée.
• Années 1990 : insistance sur le format APS, alors que les géants japonais (Canon, Nikon) misent sur le numérique.
• Manque de réactivité face à la montée des appareils photo numériques bon marché.

2000-2012 : Kodak face au tsunami numérique et la faillite annoncée

• 2004 : Fin de la production d’appareils argentiques grand public.
• 2009 : Arrêt définitif de la pellicule Kodachrome.
• 2012 : Dépôt de bilan (6,75 milliards de dollars de dettes).

La société restructure ses activités, vend une grande partie de ses brevets, et scinde sa division argentique en une entité séparée : Kodak Alaris, qui reprend la production de films photographiques.

2013-2024 : Résilience argentique et regain d’intérêt mondial

Retour en grâce de la pellicule

• Kodak Portra : film couleur professionnel, très prisé pour les portraits.
• Kodak Tri-X 400 : film noir et blanc au grain mythique.
• Kodak Ektachrome : diapositive relancée en 2018.
• Kodak Vision3 : utilisé dans le cinéma par Nolan ou Tarantino.

Un marché en croissance, des jeunes passionnés

Entre 2018 et 2023, la demande de pellicules double. Le revival analogique, poussé par les réseaux sociaux, les influenceurs photo, et la quête d’authenticité, entraîne une hausse de la production chez Kodak Alaris. L’argentique devient à nouveau tendance.

2025 : Kodak au bord du gouffre malgré la renaissance de l’argentique

Une annonce alarmante

• Perte nette de 26 millions de dollars.
• Dette imminente de 500 millions de dollars.
• Effondrement boursier de 25 %.
• Suspension du fonds de retraite, ventes d’actifs, renégociation des dettes.

Une diversification hasardeuse

Kodak a tenté de se reconvertir dans la chimie pharmaceutique depuis 2020, sans succès notable. Le cœur du métier photographique est négligé.

Un paradoxe cruel

• Suspension de production fin 2024 pour « modernisation ».
• Retards industriels (49 millions $ jugés insuffisants).
• Concurrence accrue (Fujifilm, Canon, Sony, etc.).
• Médiocrité des appareils jetables récents.

Conclusion : Kodak, un géant en déclin mais une passion intacte pour l’argentique

De 1888 à aujourd’hui, Kodak a profondément marqué le monde de la photographie. De l'invention du Brownie à la légendaire Portra 400, la marque a défini des générations de photographes. Mais en 2025, ses erreurs stratégiques laissent un goût amer.

Cependant, la photographie argentique renaît grâce aux communautés de passionnés, aux photographes exigeants, et aux nouvelles marques qui croient en la qualité, la durabilité, et l’émotion tactile du film.

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